Joker, par Baptiste Lebret

 

Joker est un très bon film : Todd Phillips parvient à dépoussiérer le mythe du clown prince du crime avec brio, jonglant avec dextérité entre un récit scorsesien bien ficelé et l’interprétation démente de Joaquin Phoenix, dans la peau d’un Travis Bickle (Taxi Driver) made in DC.

 

 

D’une manière générale, les qualités du film sont quasi-évidentes, et il suffit de jeter un œil sur n’importe quelle critique pour s’en rendre compte : qu’on soit d’accord ou non, l’unanimité critique et publique suscitée par Joker vont immanquablement le couronner comme un nouveau modèle de films de super-héros, vers lequel il faut tendre. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est la presse, et il faut s’y faire.

 

Et après tout, comment ne pas être d’accord : épuré en grande partie de tout fan-making, ou même de l’influence des interprétations précédentes, le film se fait grand…

Par exemple, enfin le rire de l’homme fou n’est plus tape-à-l’œil ou « trop classe » : Joaquin Phoenix propose un rire involontaire, étouffé par les sanglots d’un personnage détruit. La folie n’est plus cool, elle devient gênante et dérangeante pour le spectateur, et pour ça, merci à vous Mr. Phoenix. Vous trouvez un personnage à la mesure de votre méthode de jeu, un personnage où cette tendance inquiétante au surjeu et à l’auto-caricature devient parfaite. De la même manière que nous sommes en admiration devant l’extraordinaire sobriété de votre collègue Robert De Niro, on vous remercie encore de ne pas tomber dans le « trop ».

De même, Todd Phillips n’est pas en reste : en accord avec cette « sobriété » surprenante pour un film issu de l’univers DC, sa réalisation presque classique sublime un long-métrage court et clair, en occasionnant des plans évocateurs, d’une beauté évidente.

Et on pourrait continuer comme ça longtemps à déclamer les qualités du film, d’autant plus que son aspect de brûlot politique (choix osé, on en conviendra) rajoute une nouvelle dimension d’interprétation. Pas mal.

 

Nuançons. 

 

S’il est clair que Joker excelle dans le récit de la transformation, arrivé à ses 2/3, l’assurance du film s’effrite : s’il a su raconter une métamorphose, tout semble plus hasardeux au niveau de la réalisation et du scénario une fois Arthur Fleck devenu joker… la confrontation entre le joker et Murray ? Brouillonne. Un petit cinéma pour la famille Wayne en pleine apocalypse anti-aristos ? Incohérent. Et l’explosion politique finale avec les manifestations de clowns… au final, est-on bien sûr que tout cela fasse réellement joker, soit une incarnation pure du chaos et de la folie ? Peut-être pas.

Et à partir de là, commence une vraie réflexion sur ce qu’est réellement le joker, et sur ce qui peut le définir. Dans les comics comme dans les précédents films, le joker est le chaos complet : il est le trio de sorcières dans le Macbeth de Shakespeare, une entité aspirant au chaos pour le plaisir d’aspirer au chaos. Est-il possible de représenter un tel personnage, et d’en faire une histoire sur lui et purement sur lui ? A mes yeux non. On ne peut créer une œuvre sur le chaos et purement sur le chaos : c’est pourquoi absolument toutes les histoires du joker, comics, films, et dessins animés confondus se font sans exceptions à partir d’une sorte de prisme canalisateur de ce chaos perpétuel : la relation du joker avec sa némésis, le chevalier noir. Le joker ne peut exister sans Batman. Or, Joker s’en moque éperdument, ce qui finit par poser les limites du joker du tandem Philips/Phoenix. Philips affirmait lui-même son refus de réaliser un nouveau film avec son personnage, et on le comprend : essentiellement à cause de cette image politique du film, Arthur Fleck serait incapable d’intégrer un univers étendu, ou même de rencontrer Batman, à moins d’être complètement déformé. Un joker incapable d’aller plus loin que son propre film, n’est pas le joker. Le réalisateur l’a reconnu, ce n’est pas un film sur le joker, mais un film sur la transformation d’un homme détruit. Le film parvient sans grands problèmes à assumer cette direction, sauf arrivé à la fin, où tout lui échappe : on se rend compte qu’un joker sans Batman n’a plus aucun sens… d’où le choix extrêmement maladroit et absurde de créer un Batman, à travers la mort très mal amenée de Thomas et Martha Wayne.

 

Je le répète, Joker est un excellent film, à peu de choses près. Mais dire qu’il va révolutionner le cinéma geek de super-héros est une erreur : ce joker-ci n’avait rien à voir avec le Joker.

 

 


Dernier Sang, par Baptiste Lebret

 

Lorsque l'on parle de Sly, deux personnages reviennent immanquablement en tête, tant leur interprète s'est fondu dans leur peau en y mélant multiples éléments de son propre vécu : Rocky Balboa, et John Rambo. Et tous deux eurent droit à leur potentiel «film d'adieu» en l'espace de deux ans : après 5 films Rocky et 3 films Rambo à la qualité variable, les deux sagas mythiques de l'action movie semblent trouver une fin dans Rocky Balboa et John Rambo, respectivement sortis en 2006 et 2008.

Seulement voilà. Dans les deux cas, il n'en fut rien, et si l'on fut agréablement surpris par le retour de l'étalon italien dans Creed, peut-on en dire autant pour Rambo ?

La saga des Rambo a présenté au fil de ses films différentes visions du personnage : dans le premier film sorti en 1982, Rambo (ou First Blood aux Etats-Unis, comme c'est astucieux), on découvrait l'ex Béret Vert John Rambo, vétéran de la Guerre du Viet-Nam et souffrant d'un sérieux syndrome post-traumatique. Vagabond et paria, il erre dans une Amérique qui le stygmatise, puisqu'il est considéré comme responsable de la plus grande défaite de l'Histoire américaine. Le film est juste sur son propos, et le grand Stallone insuffle à son personnage la même humanité qu'il a accordé à Rocky. Malheureusement, les deux films suivants sont d'un autre goût : les années Reagan passent par là, et le soldat paumé, rejeté par son pays, est finalement engagé par celui-ci pour mener des guerres dans le monde. Il devient un symbole de badassitude américaine, dénaturant le réel message du premier film. Il faut attendre Rambo IV, ou John Rambo, pour assister à un retour aux sources, qui, même si maladroit et entaché par l'esprit des films précédents, offre un beau final pour le soldat. On le voit lors d'une scène quasi-onirique revenir dans son Arizona natal, où on espère qu'il coulera des jours heureux jusqu'à... Rambo : Last Blood.

On découvre un Rambo âgé, vivant auprès d'une vieille amie mexicaine et de sa petite fille, Gabrielle, pour qui le vieux soldat occupe une figure paternelle, cette dernière ayant été abandonnée par son père suite à la mort de sa mère. Le tableau est posé : Rambo ne vit pas dans la maison mais dans un réseau de tunnels construits sous le ranch, où l'on découvre une merveilleuse petite collection d'armes à feu, ainsi que le passe-temps du warrior, le forgeage de couteaux. C'est un premier élément intéressant, car il montre qu'il y a encore une histoire à raconter sur le personnage, qu'il y en aura toujours une. Peut-être pas nécessairement un deuxième épilogue, mais le voir en proie à ses traumatismes passés, errant dans ses tunnels, est juste une première indication que, oui, il y a matière à faire, car le happy ending n'a jamais eu lieu.

La suite de l'intrigue s'enchaîne rapidement, multipliant les scènes oubliables et les personnages peu marquants, le film s'assumant de manière évidente comme une sorte de spin-off de la saga : seul

importe le moment brutal de la mort de Gabrielle, séquestrée lors de scènes de prostitutions particulièrement violentes, alors qu'elle était sur le point d'être ramenée auprès de sa grand-mère. Une fois passées les scènes banales d'adieu et de discours pseudo-émouvants, le film termine d'amener le spectateur vers ce à quoi la montée de violence intense et progressive du film (dont un splendide pétage de clavicule, parce que OUI.) le destinait : la boucherie finale, grandiose apothéose de la simple, et honnête, histoire de vengeance que nous montre le film.

Les assaillants deviennent des proies : elles errent dans le labyrinthe de tunnels, les mêmes où Rambo fut confronté à ses atroces souvenirs de guerre. Les pièges concoctées par le Minotaure se referment sur les sacrifiées dans un bain sanglant de violence, de la même manière que le monstre n'échappe pas au retour de son passé.

L'affrontement final entre l'ex-Béret Vert et le chef du cartel mexicain finit par prendre sens : comme Rambo échappant à la guerre, il s'échappe des tunnels sur le point d'exploser («suis les lumières, si tu veux vivre»), et comme Rambo, il se fait rattraper par ce qu'il a cherché à fuir : la mort. Et ainsi se termine Last Blood, John Rambo contemplant avec regret son ranch, devenu un champ de bataille : la guerre ne l'a jamais quitté.

Le film est bien évidemment maladroit : les monologues de Sly peinent à convaincre, tous les clichés du cartel mexicain sont cochés, révélant une fois de plus l'américanisation du film peut être trop importante... Mais le film l'assume, et de par sa durée, ne se concentre que sur les éléments dignes d'intérêt vus plus haut.

Finalement, on peut être certain que ce film n'était pas nécessaire. Qu'est-il au juste ? La dernière dernière guerre d'un soldat brisé ? Une énième bataille testostéronée dans la filmographie de Sly? Qu'importe. Ce qu'on finit par comprendre du film, c'est que notre Rambo ne trouvera du repos que lorsque le dernier sang aura coulé...le sien.


La condition syrienne

Taste of Cement n’est pas un titre. C’est une sensation singulière ressentie en sortant de la salle. Grâce à un montage audacieux, Ziad Kalthoum parvient à nous communiquer l’épuisement éprouvé par les ouvriers syriens exilés à Beyrouth pour travailler sur des chantiers. Lassitude de la poussière, des gravas, des parpaings, des outils de chantier et leur vacarme martelant les esprits. Aucune rupture perceptible entre la Syrie et Beyrouth, pas de nouveau souffle pour ces hommes construisant un gratte-ciel dans des conditions inhumaines. 

 

Dans les sous-sols du bâtiment, leurs repas sont sommaires, leurs loisirs inexistants, ils dorment au sol les yeux ouverts. Un couvre-feu à leur égard est établi à 19h. Si la beauté de la capitale libanaise est mise en avant par des plans aériens de la ville, on comprend rapidement qu’ils n’y ont pas accès. Vivant 12 heures pas jour au dessus de la ville, et 12 heures par jour en dessous, ils ne font qu’observer de leur geôle l’horizon d’un « papier peint qui les emballe ». 

 

Ce quotidien harassant est conté par une voix off apaisante, celle d’un travailleur qui ne confie que deux souvenirs teintés de nostalgie, d’angoisse et de mort. 

Les scènes souvent filmées en plans fixes, traduisent cet espace temps qui semble avoir figé les bâtisseurs. Statues meurtries, ils ne parlent pas. Leur regard si. Chaque soir, dans une routine signe de fatalité, ils s’engouffrent dans une ouverture reliant par un escalier leur lieu de repos et le monde extérieur, l’obscurité et la lumière. Ces soldats de la reconstruction reçoivent les coups des chaînes d’information sans broncher. 

 

Le réalisateur, originaire de Homs, met en avant les perspectives des bâtiments. De la hauteur vertigineuse des tours aux quartiers rebelles dévastés, il n’y a qu’un pas, ou plutôt qu’un cauchemar. Ce parallèle construction/destruction basé sur l’architecture du chaos est omniprésent. Les distinctions entre la Syrie en guerre et le Liban en reconstruction, tournant la page d’une guerre civile, s’estompent progressivement. Et peu  à peu, une superposition s’opère. La maîtrise du montage son est remarquable. Le bruit d’un marteau piqueur se fondra ainsi sur celui d’un tank ciblant des maisons. Aux images silencieuses est apposé un bourdonnement, bercées par un orchestre de machines de chantier. 

 

En toile de fond le bleu. Le bleu du ciel qui s’allonge sur les édifices en construction, le bleu des fonds marins filmés pour exposer les vestiges d’une guerre civile enfouie dans les archives, le bleu de la mer qui embrasse Beyrouth.

 

Océan contre Cité, tableau classique d’une métropole littorale ? Ce serait omettre que Taste of Cement est un poème. La mer est dans ce documentaire, esthétiquement éblouissant, l’allégorie de la guerre. Les travailleurs la contemplent avec mélancolie et patience, comme si ils étaient dans l’attente d’une fin. La voix off avoue au départ que le son des flots est assourdissant, elle conclut en reconnaissant que les vagues se mettent à s’agiter pour la prendre dans un tourbillon. 

 

« Le ciment ne ronge pas seulement la peau mais aussi l’âme »

Valentin Boulay


Le face à face entre folie et justice: 12 jours de Raymond Depardon

Entre 4 murs, le travelling d’ouverture déambule dans les couloirs de l’hôpital psychiatrique Le Vinatier à Lyon. Univers clos où les esprits cherchent à s’évader.

Raymond Depardon aborde une nouvelle facette de la solitude, le leitmotiv de sa carrière. 

 

Le documentariste revient sur une loi promulguée en 2013 imposant le passage d’un patient devant le juge des libertés et de la détention dans les 12 premiers jours après un internement sous contrainte, puis tous les six mois. Le rôle du magistrat ? Statuer, à l’aide des avis médicaux, sur la sortie ou le maintien du patient en hôpital psychiatrique. 

 

En filmant les rencontres entre juges et patients, Depardon nous ouvre les verrous des lourdes portes d’un centre de santé mentale. Il met en lumière le face à face entre folie et justice. Déterminer si une personne est apte à réintégrer une vie active en société n’est pas aisé. Restent-ils dangereux pour leur entourage ou pour eux-mêmes ? 

 

Délicate et pudique, la caméra de Depardon voit défiler des visages marqués aux cernes chargées d’histoires. Elles sont aux malades ce que les anneaux de croissance sont aux arbres. 

 

On peut regretter le choix de Depardon d’avoir basé le film sur le diptyque salle d’audience - images de l’hôpital, qui peut paraître un peu répétitif. Or, c’est grâce à cette approche qu’il parvient à retranscrire la réalité de ce type d’établissement. Les images de Depardon et la mélodie d’Alexandre Desplat nous placent avec douceur aux côtés d’hommes et de femmes tiraillés par la détresse.

 

Avocats à la défense peu convaincante, juges ne faisant que répéter l’avis des médecins, patients peu lucides sous les effets des lourds traitements (camisole chimique ?). On en vient rapidement à remettre en question ce dispositif judiciaire. 

 

Evoluant dans ce centre à l’atmosphère pesante, l’impasse est partout, on tourne en rond. Ne vous attendez pas à apprendre sur la folie, la raison est partout. Le rationalisme judiciaire côtoie l’intelligence humaine, celle qui lutte contre une névrose toute puissante. Un message d’espoir surgit à la fin puisque l’on entrevoit enfin la sortie du tunnel. Pour la première fois, on voit l’entrée du lieu : il existe donc bel et bien un échappatoire. Ce serait l’allée de chênes engloutis par le brouillard matinal. Impossible d’entrevoir la fin du chemin.

 

 

« De l’homme à l’homme vrai, le chemin passe par l’homme fou », Michel Foucault

Valentin Boulay 


Mise à Mort du Cerf Sacré: sacrifier sa dignité

The Killing of a Sacred Deer - Un film de Yórgos Lánthimos, avec Nicole Kidman, Colin Farrel et Barry Keoghan.

Attention : vous n’êtes pas en train de lire une ‘simple’ critique, mais plutôt une analyse thématique de l’œuvre. Des éléments de l’intrigue susceptibles de vous gâcher le film sont donc allègrement dispersés dans les lignes qui suivent. 

« Our children are dying, but yes. I can make you mashed potatoes. »

Mise à mort du cerf sacré est un film qui avance irrémédiablement vers sa catastrophe finale (à la manière de 2001 : L’Odyssée de l’espace, par exemple). Durant toute la première partie, pas un seul des plans ne reste statique ; Lánthimos choisit de narrer son histoire à travers un zoom léger mais quasi-perpétuel, jusqu’au point de basculement de l’intrigue qu’est l’ultimatum lancé par Martin. Le spectateur se retrouve donc face à un film qui l’empêcherait presque de rester passif et force l’immersion.
Le souci de mise en scène du réalisateur et son sens du détail se retrouvent jusque dans le choix des lieux de tournage, et dans sa manière de les filmer avec une rigueur ‘chirurgicale’. Les personnages sont enfermés dans des cadres paradoxalement très ouvert. La caméra passe sans préavis des plans d’ensemble aux gros plans, créant une sensation d’étouffement. Le film prend ses personnages - et le spectateur - à la gorge. Sans fioritures, la narration est implacable. Progressivement, inévitablement, spectateurs et protagonistes sont acheminés vers l’infamie.
La direction d’acteurs est réglée au millimètre. Colin Farrell, Nicole Kidman, et les jeunes interprètes de leurs enfants, tout comme Barry Kheogan incarnent des absolus, et ce même avant que l’engrenage tragique ne se mette en place. Leurs personnages jouent un rôle (ce qui, d’ailleurs, peut rebuter puisqu’à aucun moment ils ne se comportent de manière ‘normale’), eux sont leurs rôles.
Ce qui nous amène justement à la famille ; thème récurrent chez Lánthimos, mais ici cadre ou plutôt prisme. Le film étudie une famille névrosée, malsaine. La famille ‘parfaite’ (dans le sens « comme il faut ») lorsqu’elle est vue de l’extérieur, mais de l’intérieur aseptisée et sans rapports familiaux honnêtes sinon véritables. Tous jouent un rôle, chacun s’applique à renvoyer une image de lui-même qui composera à terme une famille modèle aux yeux de l’étranger. Tous jouent sciemment à être des archétypes ; leur vie est mise en scène, et ce jusque dans les rapports sexuels parentaux [des séquences particulièrement glaçantes]. C’est donc dans ce décor et avec ces acteurs que Lánthimos va faire son étude de deux aspects fondamentaux de l’homme : justice et dignité.

« It’s the only thing of that is close to justice. »

Martin n’est pas fondamentalement mauvais. même si son interprétation - ou parfois son physique ? - laisse très rapidement penser qu’il est le mal incarné. Martin est avide de vengeance (il répète d’ailleurs plusieurs fois « i’m starving » avec insistance), quitte à détruire une famille, comme la sienne a été détruite. Il ne se préoccupe pas de ce qui est juste, il exige réparation et applique pour cela la loi du talion. L’irrationnel entre alors en jeu, la ‘malédiction’ est lancée. Le chirurgien ayant tué le père de Martin en l’opérant, Martin a désormais le droit de réclamer une mort en échange. Et de la main du chirurgien lui-même.
À partir de l’instant où le sacrifice apparaît comme inévitable, une folie s’empare des occupants de la maison. Les rôles basculent et la dignité n’entre plus en ligne de compte.
Le père abandonne son rôle de docteur (« celui qui soigne ») dans sa première acception ; il kidnappe Martin, le torture. Il doit désormais soigner sa famille par un biais bien plus radical : la mort d’un de ses membres. Il tente d’y échapper, de fuir ses ‘responsabilités’ paternelles ; il s’agite, fuit, mais doit se rendre à l’évidence : il sera un médecin meurtrier et un père infanticide.
La mère met de côté son rôle maternel, ne protège plus ses enfants. Pour se sauver, elle est prêt à en sacrifier un, au hasard, tout en arguant qu’il sera toujours possible, en fait, de le remplacer.

« We could have another one. I mean I still can, and you too. And even if you couldn’t, we would find a solution. »

Kim passe de la jeune fille parfaite à une figure de rebelle. Elle fugue pour retrouver son petit ami (qui se trouve être Martin, pour aller jusqu’au bout du malaise), essaie par tous les moyens de prendre l’avantage sur son frère. Bob passe à l’inverse du statut d’enfant rebelle à l’enfant modèle, voire même soumis. Il se coupe les cheveux (que son père déclarait plus tôt détester), déclare vouloir devenir cardiologue comme son père pour le flatter, serait prêt à aller arroser les plantes (activité utilisée comme motif récurrent de la domination parentale) en rampant.
Pour survivre, tous sont prêts à remettre en question ce qui les définit, à abandonner leur dignité. Le fait que les enfant rampent - puisqu’incapables de tenir sur leurs jambes, premier symptôme de la « justice » - pendant la moitié du film n’est pas anodin. Se tenir sur ses deux jambes est fortement lié à l’humanité. À partir du moment où l’on renonce aux principes qui devraient la définir, on la quitte, au moins partiellement.
Lánthimos adopte un point de vue terriblement pessimiste. Les survivants n’ont plus rien d’humain, et, d’une certaine manière, les meilleurs sont inévitablement partis les premiers. Que ce soit le père de Martin, décrit comme un modèle de vertu ; ou Bob, le seul élément de la famille ne cherchant pas à s’inscrire dans le modèle idéal que les autres veulent atteindre. Ce dernier n’échappe évidemment pas à sa « crise de dignité » lorsqu’il se rend compte qu’il est sur la sellette, mais il était en vérité le seul de la famille à avoir un comportement normal, naturel.
Lánthimos présente donc à travers cette ré-interprétation du mythe d’Agamemnon, une vision, comme à son habitude, radicale, critique et hautement négative de l’espèce humaine. Seulement, dans Mise à mort du cerf sacré, et c’est là que réside son génie, il ne se place pas dans une dystopie (The Lobster, Canine dans une moindre mesure). Il présent des personnages qui, dans le cadre le plus réaliste et rationnel qui soit, perdent le contrôle puis progressivement leur humanité. Ce qu’il pourrait nous arriver à tous, finalement. 

Augustin Pietron


The square - Ruben Östlund

S’est imprimé sur mes rétines une image qui a du mal à s’en décoller. Une œuvre d’art contemporain. Un homme qui a brisé les limites darwiniennes pour se muer en bonobo. Ou était-ce un chimpanzé commun ? Dans un cas comme dans l’autre, il n’est pas humain, et l’évidence est tellement ancrée dans mon cerveau que les tentatives, vaines s’il en est, de lui parler dans notre langue m’apparaissent risibles. Comment s’imaginent-ils que nos constructions sociales et les codes d’une micro-société artistico-bourgeoise peuvent le contrôler ? La scène est génialement incongrue, et marque. Vous comprendrez -ou non- en allant voir le film. Car The Square est une incursion dans ce milieu fermé qu’est l’élite de l’art. Petit rat sur l’épaule du conservateur du plus grand musée d’art contemporain de Suède, le spectateur apprends les codes, les conventions, la précarité, l’hypocrisie, l’ivresse mais avant tout le fossé qui les séparent -eux qui évoluent dans le microcosme de l’art- des autres. Parce qu’il y a moi et l’autre. Moi qui roule en Tesla, qui se saoule sous les immenses plafonds du palais royal de nuit. Moi le conservateur de musée qui sent l’adrénaline monter lors d’une excursion dans leurs quartiers, et qui adore ça. Pour autant, le personnage n’a rien de détestable. Il est attirant et intelligent, sensible, généreux, maladroit et attendrissant. Il en séduit plus d’un (ou d’une). « The Square est un sanctuaire où règne la confiance et l’altruisme ». En réalité The Square est un temple où l’on se retrouve soi-même, ses incohérences, ses préjugés. Ruben Oslund nous emmène dans un monde à l’esthétique précise, « nordique ». Nordique parce que la Suède et son élite, sa modernité sociale toute scandinave quoique sonnant parfois faux mais également parce qu’elle nourrit notre imaginaire pictural d’univers épurés et de prises de vue qui transforment le quotidien -le luxueux comme le vulgaire- en tableaux composés. Il introduit la violence par la douceur, le mépris par l’innocence, nous montre qu’on ne sait rien, que l’homme est faillible et que dans sa quête de divertissement il a perdu contact avec la réalité du monde.  Mais la touche finale du film -en plus de sa bande originale saccadée et enivrante- ce qui le saupoudre d’assez de génie pour en faire un chef d’œuvre, c’est sa causticité. Pas de pathos inutile ou d’apitoiement superflu, tout nous prend à défaut, nous met face à nos propres erreurs et nous force à en rire. C’est nécessaire, c’est libérateur, c’est irrésistible. A l’image du film.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          Amaya Lehingue


"Un chat sous le bras, des portes closes, rien dans les poches", Jeune femme de Léonor Séraille


“Un chat sous le bras, des portes closes, rien dans les poches, voici Paula, de retour à Paris après une longue absence. Au fil des rencontres, la jeune femme est bien décidée à prendre un nouveau départ. Avec panache.” Ainsi est résumé le film Jeune Femme, premier long métrage de Léonor Séraille, lauréat pour la catégorie « Caméra d’Or » à Cannes et nommé pour « Un Certain Regard ». On comprend mieux ces choix à la découverte du film, qui se concentre sur le mystérieux personnage de Paula, interprété par Laetitia Dosch. L’actrice, relativement nouvelle sur le grand écran, crève l’image. C’est son regard, sur le monde, sur la vie, qu’il nous est donné l’opportunité d’apprécie. Si elle fait autant d’effet au spectateur, ce n’est pas que par son teint de lait et sa chevelure de feu. Des actrices rousses faisant l’effet d’une bombe, il y en a eu avant et il y en aura après elle. Chez Laetitia Dosch, c’est plutôt le côté spontané qui interpelle. Ou plutôt l’impression de ne pas faire face à quelqu’un qui joue son rôle au cinéma mais d’interrompre la vie d’une femme, un poil dérangée, dont on suit l’évolution au jour le jour. La caméra à l’épaule, Léonor Séraille nous entraîne dans un tumulte parfois organisé, parfois décousu. Il est vrai qu’à certains moments, elle laisse le spectateur un peu perdu, à la recherche des intentions portées par le film. A force de s’appuyer démesurément sur l’actrice principale – c’est surtout autour d’elle qu’est centré le film, on est tenté de questionner la pertinence du scénario. Il est en effet très simple. Paula, fraichement abandonnée à son retour à Paris par ce qu’on comprend être son ancien professeur de photographie avec qui elle est partie s’exiler au Mexique, doit faire face à l’hostilité du monde du travail et à la solitude, qu’elle ne semble pas appréhender comme les autres. Ce qu’elle réussit à merveille, en s’appuyant sur les nouveaux arrivants dans sa vie, qu’elle sait apprivoiser, grâce à un optimisme forcené et une prise de recul par rapport à la réalité comme on en voit peu. Le scénario est donc basique, rien de réellement nouveau n’est a priori ajouté à la basique recette de la femme-enfant esseulée dans la grande ville. Et pourtant, on sort optimiste de la séance, amusé.e, voire attendri.e. En fait, le réel apport de ce film, c’est de permettre à Laetitia Dosch de s’épanouir à l’écran, comme si elle prenait le contrôle de l’histoire à mesure que fleurissent ses idées folles. On est d’abord amusé.es par sa radicalité, puis stupéfait.es par son honnêteté autant que choqué.es face à sa désinvolture et ses manipulations, qu’on lui pardonne malgré tout tant elle nous enchante. C’est inexplicable. C’est sûrement finalement le fait de Léonor Séraille, et c’est là que réside le talent de cette nouvelle réalisatrice qui a su choisir l’actrice idéale pour porter son scénario qui réussit à nous bercer d’une illusion volatile.

                                                                                                                                                            Juliette Paemelaere 


Ava de Léa Mysius, Un vent de liberté

 

 

Un air de liberté. Léa Mysius filme l’adolescence, la quête d’indépendance d’une jeune fille de 13 ans victime d’une maladie des yeux, lui coûtant la vue peu à peu. Il s’agit d’un très beau film, aux influences de Tony Gatlif dans cette sorte de parcours initiatique qu’entreprend Ava, refusant l’enfermement. En effet, lorsqu’Ava apprend qu’elle va devenir aveugle sous peu, elle décide alors de tout faire pour ne dépendre de personne, et encore moins de sa mère, qu’elle aime autant qu’elle la méprise. Ava refuse d’exprimer son amour pour sa mère car elle veut autre chose, elle est dans une crise d’adolescence qui la rend froide et « sans cœur » comme le prétend sa mère. Mais Ava est extrêmement touchante, elle aime à sa manière, elle ne veut jamais montrer ses faiblesses, c’est aussi sa manière d’affronter sa maladie. Elle rêve de grands espaces, de l’amour impossible, et de partir le plus loin possible.

Elle rencontre Juan, tombe amoureuse de lui mais surtout de sa condition, celle d’un jeune homme seul, qui ne dépend plus que de lui-même et qui vit dans le danger permanent. Elle est attirée par cette vie indomptable, accompagnée de « Loupo », ce chien-loup qui l’aide à traverser sa maladie, ce chien avec lequel elle développe ces autres sens.

Ayant vu le court-métrage de cette même réalisatrice L’île jaune, on remarque que l’adolescence est son thème de prédilection. On y voit des similitudes, la jeune fille « sauvage » en quête de liberté qui rencontre un jeune homme mystérieux, de par son physique et son attitude, la mer et les vacances qui sont source d’évasion et de tous les champs des possibles. Alors que L'île jaune a un aspect beaucoup plus dramatique, Ava est plein d’espoirs, la musique reflète d’ailleurs très bien cette distinction entre les deux réalisations.

Sans aucun doute il s’agit d’un film réussi, cependant on peut y voir quelques défauts par rapport aux symboles en abondance, notamment dans les cauchemars d’Ava où les yeux sont désignés de toutes les manières imaginables. Aussi, le côté très poétique et la réflexion que peut faire Ava sur la vie, peut paraître condescendant, une adolescente avec un tel vocabulaire et une telle « vision » n’est pas tellement réaliste. Cela dit, ce n’est pas un problème, on suit Ava, on la comprend, on trouve ses mots exprimant ses maux d’une maturité et d’une beauté sans nom, et c’est cela que l’on retient. C’est la fraîcheur, le jeu de Noée Abita (Ava) et de Laure Calamy (sa mère), les images du jour chaud et de la nuit noire qui ont une importance particulière quant à la vue d’Ava, qui font de ce film une réussite, qui mérite d’avoir été sélectionné à La Semaine de la Critique de Cannes. 

Manon Lhoumeau-Aizpuru


Retour sur Cannes : L'Amant-Double, de François Ozon

Un thriller psychologique haletant, François Ozon ne va t-il pas trop loin?... 

(// Anecdote // Entendu au Festival de Cannes 2017 : "Ozon s'est cru dans Alien 3 (...)")  

 

L'Amant-double commence fort, on suit cette jeune femme fragile prénommée Chloé, ses douleurs au ventre l'amènent voir un psychologue, et de cette rencontre tout bascule. François Ozon fait dans la symbolique du début jusqu'à la fin. Les images ne suggèrent pas implicitement mais il a clairement voulu d'un film qui se veut aller droit au but. Les parties génitales de la femme sont explicitement mises en avant dans cette métaphore de la bouche/utérus. Les scènes de sexe qui peuvent à de nombreux moments paraître inutilement choquantes, alourdissent l'atmosphère pesante du film. L'intrigue s'accélère, on perd pied comme le personnage de Chloé. C'est à la fois un film sur le mensonge et la vérité, sur la monstruosité de l'être humain axée sur l'étrangeté que représente la gémellité depuis des siècles dans la mythologie et la littérature, comme des êtres se situant entre les hommes et les dieux. Ils seraient par-là in-maîtrisables. C'est sur cette tension que se joue l'intrigue du film.

On peut sans conteste dire que le film est très bien joué, en particulier par Jérémie Renier qui parvient à interpréter deux personnages physiquement identiques et pourtant diamétralement opposés d'un point de vue comportemental. Il donne une violence et une perversité rien que par le regard à Louis, tandis que Paul est perçu comme un homme doux et attentionné. Marine Vacth, quant à elle, joue à merveille le trouble et la fragilité.

La musique et les plans ont un pouvoir de captation de l'attention du spectateur, cette force que parvient à créer le réalisateur par l'atmosphère du film, fait que l'on arrive à croire à cette histoire. Lorsque nous nous attardons sur les détails, est quelque peu tirée par les cheveux, voire directement sortie d'un mauvais film de Science-fiction qui n'assume pas complètement l'imaginaire voulant se cantonner à un cinéma plus réaliste, qui parle des vies humaines, comme c'est le cas dans les précédents films de François Ozon (Huit femmes5 X 2Dans la maisonJeune et jolie...), mais qui ici, ne fonctionne pas tout à fait. Déjà avec Une Nouvelle amie en 2014, François Ozon est entré dans un cinéma où la folie a pris de l'importance, la frontière entre réalisme, irréalisme, crédibilité ou non se fait de plus en plus fine, et c'est ce que l'on peut reprocher à François Ozon dans son dernier film, c'est de ne pas l'avoir assez maîtrisée. En effet, sans révéler le final (inattendu ?) du film, on peut affirmer que c'est du déjà vu dans tous les films qui traitent de la psychologie comme Black Swan, de Darren Aronofsky, ou encore A la folie pas du tout, de Laetitia Colombani. On y retrouve les thèmes du mensonge, de la peur, du trouble, de l'amour et de la sexualité... Tous ses sentiments qui sont pour le moins peu contrôlables et qui vont faire s'enfoncer les spectateurs au même titre que les personnages dans un tourbillon de folie.

Pour finir, je dirais que c'est un film qui ne m'a pas laissée indifférente du début jusqu'à la fin, je suis sortie perturbée mais pour autant je ne crierai pas à la réussite cinématographique. Il s'agit d'un film où tout est parfait en termes d'image, de son et de jeu, mais dont le scénario manque de justesse, de crédibilité, d'autant qu'il perd tout son poids à la fin. Aurait-on été captivés par "du rien" pendant deux heures ? Un peu facile en mon sens...

Manon Lhoumeau-Aizpuru


LA PALME DES PETITS-COURTS (2016) : Mademoiselle, Park Chan-Wook

Lettre à Mademoiselle,

 

Innocente d'apparence, boule de désir sommeille en vous, cruelle par ailleurs mais porte ce bijou comme une ode à l'amour et à la liberté. Mademoiselle(s) vaincront les vices des hommes malhonnêtes...

Cette douceur des visages, cette profonde beauté et cette dureté du regard, c'est elle Mademoiselle. Deux jeunes femmes, une histoire d'amour qui se profile entre une servante et sa maîtresse, une histoire empreinte d'admiration et de manipulation. Des paysages entre rêve et réalité, doux songes presque fantastiques, érotisme suggéré dans la scène du bain, et qui se concrétise dans l'apprentissage de la nuit de noces, puis des souvenirs sordides qui remplissent la vie d'Hideko, s'entremêlent pour donner toute sa force au film. Elle ne connaît que ce magnifique pavillon tout droit sorti d'une estampe japonaise, une architecture d'une grande perfection esthétique, proche de l'irréel, une froideur de cette étendue immense, où se cachent les mystères littéraires du sous-sol... 

Les trois parties du film découpent en triptyque cette histoire qui monte progressivement en tension jusqu'à cette scène d'amour finale, où la mer et ses remous révèlent l'inconnu d'une vie passionnée qui commence. Dans la première partie, il s'agit d'un tableau présentant de manière plutôt réaliste deux femmes, dans des scènes entre intimité et sexualité, guidées par la curiosité elles quittent peu à peu cette innocence qu'on donnerait à deux jeunes adolescentes prêtes à croquer la vie. Jusqu'à ce que la distance et le mariage de Mademoiselle nous amène à l'intrigue de la seconde partie. Ici, la tension est à son comble. Qui est cette jeune femme ? On la redécouvre, comme on prend connaissance des dessous de cette maison dans laquelle on lit et on tourmente, dans laquelle on arrache l'enfance pour les plaisirs obscènes des personnages masculins. Le mariage arrive et Sookee ne peut plus prétendre à l'amour d'Hideko, pourtant si unies en silence, dans des scènes de baisers cachés, des scènes de regards intenses… Puis le film s'accélère au rythme des sentiments, l'asile des fous et la peur que Sookee soit prise au piège de sa naïveté. C'est un film tout en lenteur dans les gestes comme dans les plans, nous sommes absorbées par cette esthétisme, ces couleurs plus vraies que vraies, un réalisme poétique qui surpasse la simple réalité pour représenter innommable par des techniques presque picturales, par un jeu quelque peu théâtral et par des scènes poignantes que ce soit celles d'amour ou celles exprimant la colère, elles sont toutes d'une grande sincérité. En même temps on y retrouve une retenue émotionnelle propre à la culture asiatique, ne laissant pas place à l'excentricité qui pourrait fausser les sentiments. Ce n'est d'ailleurs pas que sentiments mais c'est un film de sensations, un chef d’œuvre sensoriel. Park Chan-Wook parvient à nous faire sentir les parfums du jardin, les parfums des intérieurs, nos yeux absorbés par les images touchent les corps aimants, les tissus des robes de Mademoiselle. La nourriture est elle aussi embellie par les plans sur la bouche laissant passer grain de riz après grain de riz dans un soucis de délicatesse et de maîtrise de soi ou encore la pèche à l'image du fruit croqué comme péché qui lui est dégoulinant, faisant référence à la personnalité de celui qui le mange. Tout signifie, le moindre geste est signifiant et le spectateur vit tous ces moments avec passion.

 

Incontestablement le film de l'année !

 

Manon Lhoumeau-Aizpuru

Courts-métrages des Beaux-Arts, FIFIB 2016 (5ème édition)

La Nouvelle vague arrive !

 

A la Station Ausone du FIFIB, on présentait vendredi (14/10/2016) les courts métrages des élèves des Beaux Arts. Entre gros plans sur des œufs mouillettes, histoires d’antan à la campagne et flous artistiques, la nouvelle génération de cinéaste entre à pas feutrer dans le festival.

Un exercice des plus compliqués, surtout quand les têtes d’affiche sont Jean-Pierre Léaud et Luna Picoli-Truffaut, ambassadeur et ambassadrice de la Nouvelle vague française. A la frontière entre l’absurde et la réalité, ces courts métrages sont autant pertinents qu’étrangers. Cette séance de 1h20 aura pourtant suffi à convaincre les quelques présent(e)s dans la salle qui ont trouvé ça « vraiment super ». Des débuts prometteurs qui en amèneront peut-être certain(e)s en haut de l’affiche comme Sébastien Betbeder, ancien élève des Beaux Arts, qui présente lors de cette 5ème édition Le Voyage au Groenland à l’Utopia en avant-première.

 

 

Alizé Boissin

La mort de Louis XIV, Albert Serra

KING LEAUD

 

Samedi soir dans l’antre de l’ancienne église, la place était précieuse. Un public très hétéroclite s’empresse pour l’avant-première de La Mort de Louis IVX, « le film le plus attendu de la journée » selon l’Utopia. La séance s’ouvrait en présence de Jean-Pierre Léaud, « roi du cinéma » venu adresser quelques mots. Et qui de mieux pour incarner un tel rôle ? Jean-Pierre Léaud c’est l’archétype de l’enfant prodigue. Découvert dans Les 400 coups de Truffaut, encore amateur à l’époque, son ascension est fulgurante. C’est « l’enfant Nouvelle Vague », qui a joué pour les plus grands : Truffaut, Godard ou encore l’invité d’honneur de ce festival Assayas dans Irma Vep, avant de devenir à son tour incontournable. Palme d’or d’honneur cette année à Cannes, le roi Léaud est à son apogée.

 

Pour La Mort de Louis XIV, tout est déjà dit dans le titre. Le film d’Albert Serra retrace les derniers instants du roi soleil, agonisant dans la maladie auprès de ses serviteurs, dans une chambre (très) obscure. Une composition de scènes qui se succèdent comme des vanités où le corps de sa majesté pourrit peu à peu dans un silence assourdissant. La salle est ravie.

Alizée Boissin

Les derniers parisiens, Hamé et Ekoué

 Mon nom à Pigalle (ou pas)


Le point de vue original est affiché d'emblée: Ekoué et Hamé, fondateurs du groupe « La Rumeur » qui signent ici leur première réalisation, ont pris le parti de ne pas mettre en scène la capitale telle qu'elle est fantasmée dans Minuit à Paris, celle des artistes et empreinte de nostalgie. Pourtant une forme de nostalgie transparaît mais pas pour le Paris que nous envient les américains, bien au contraire. Le film s'attache à retranscrire l'atmosphère unique de Pigalle, un quartier longtemps resté authentiquement populaire mais aujourd'hui en voie de « bohémisation ». En fait, le Pigalle des Derniers Parisiens n'existe peut être déjà plus.

 

A travers les espoirs avortés de ces deux frères protagonistes (et antagonistes), merveilleusement portés par Reda Kateb et Slimane Dazi, on mesure combien ce Pigalle est riche et combien il peut (encore) faire rêver. Sans rien dévoiler du scénario, l'histoire se focalise sur Nas, récemment sorti de prison et que son frère doit malgré lui prendre sous son aile pour éviter qu'il n'y remette un jour les pieds. Mais Nas refuse de courber l'échine comme son frère et sa mère avant lui. Lui, veut faire de l'argent, vite, trop vite peut être. Pour cela, il rêve de racheter le bar de son frère, symbole de son succès relatif, pour faire mieux, beaucoup mieux et le transformer en boîte de nuit. Pour cela, il est prêt à s'associer avec les pires malfrats pour réussir et prouver quelque chose, aux autres mais surtout à lui-même. Nas, c'est un Icare des temps modernes, un Icare banlieusard de la France de 2016. Son ciel, ce sera Pigalle : il veut y mettre son nom, en défiant son frère s'il le faut.

 

 

C'est un film à hauteur d'homme, qui nous fait découvrir la faune et la flore fascinante d'un des derniers quartiers authentiques de Paris, un film qui veut du bien aux gens comme le décrivent ses réalisateurs et qui m'a fait du bien.

 

Algance Mahdjoub 

HEIS (chroniques), Anais Volpé

Un film d'Anaïs Volpé, présenté lors de la Compétition « Contrebande » de la 5ème édition du FIFIB. Plus qu'un long-métrage il s'agit en réalité d'un projet créatif très complet et innovant puisqu'il se compose d'un film, d'une Web-série et d'une installation artistique. Anaïs Volpé fait avec Heis (Chroniques) un hommage à l'inventivité, et invite à la créativité. Pour nous raconter une histoire qui la touche, elle n'utilise pas seulement les mots, énoncés par une voix-off pleine de fougue et de rage, mais elle met en avant la qualité photographique de toutes les images. Elle donne une importance à la caméra grâce à une mise en abyme par le documentaire qui donne au film son réalisme, sa sincérité. En effet, le personnage de Pia filme sa mère, et c'est à travers ses maux, ses joies et ses doutes, que Pia veut découvrir ses racines, faire le deuil de son enfance et pouvoir affronter la vie.

Ce documentaire est au cœur du film, c'est par lui que l'on retisse les liens familiaux entre ces trois personnages principaux. Cette histoire, c'est celle d'une famille, de deux frères et sœurs nés en 1989, dans un monde en constant changement, un monde dont on ignorait le futur et qui pourtant a donné naissance à la génération des crises, notre génération, celle des enfants des années 90. Anaïs Volpé tourne avec urgence, un rythme soutenu, des images saccadées et un débit de voix pareil à une course vers la porte de sortie, une course dont il faut trouver les clefs pour échapper aux étouffantes crises, qu'elles soient économiques, familiales, identitaires ou politiques. Cette angoisse face à l'avenir, les doutes et les choix douloureux sont illustrés par ce nez qui saigne dans les rêves de Pia. Cette coulée de sang est ce qui fait peur, ce que l'on ne maîtrise pas. Le parallèle entre l'art et le sport est sans cesse renouvelé puisque ces deux disciplines reviennent à aller au bout de ses rêves, à tout donner dans l'effort et la passion. Un thème tout aussi important ici, c'est celui du devoir familial et la culpabilité que l'on peut avoir d'assumer sa propre vie. Se dessine alors une sorte de paradoxe dans lequel serait empreinte une grande partie de la jeunesse. D'un côté on nous dit qu'il n'y a plus d'avenir en France, qu'il faut être fort et affronter la vie par le travail dès que possible, et dans un autre sens le poids de la famille est toujours aussi présent, il est inhérent à la personne humaine, qu'il est impossible d'abandonner les siens, c'est le principe de l'enfant qui doit veiller sur ses parents tout au long de sa vie, en affrontant toutes les épreuves. Écrire sur ce beau film, délicat, jeune et plein de vie, c'est donner une lueur d'espoir à l'avenir dans un monde où chaque jour, les médias nous rappellent que rien ne va, comme le ponctue le film à de nombreuses reprises, tel un violent martèlement. Tout est dit et montré avec une grande intensité. L'évocation répétée d'Isfrah, ville de la mère de Pia, sans que l'on ne sache jamais ce qui s'y est vraiment passé, mais le visage, le regard, la voix sont des indices plus poignants qui témoignent d'une grande émotion, qui ravivent des souvenirs brûlants dans la simple prononciation de son nom. Rêves et vie réelle se mêlent pour intensifier tout ce qui entoure Pia, son frère et sa mère, la vie ne se résume pas à ce que l'on voit le jour mais c'est aussi tout ce qui nous tourmente la nuit.

Heis (chroniques) mérite d'être diffusé dans de nombreuses salles françaises. Soutenons le travail d'Anaïs Volpé, une artiste prometteuse, qui s'érige en porte-parole d'une génération. Anaïs Volpé parle d'elle, de lui, de nous tous, dans une fiction où « Heis » signifie « Un » en grec, telle une pièce de monnaie, qui par un « pile ou face » peut déterminer des vies…

 

Manon Lhoumeau-Aizpuru

 

Knight of Cups, le retour tant attendu du génie Malick

Peu de réalisateurs auront autant fasciné et autant divisé durant les quatre dernières décennies que l’américain Terrence Malick. Depuis son premier long-métrage, La ballade sauvage, sorti en 1973, il a réussi à imposer sa marque dans l’histoire du cinéma contemporain. Avare en projets, ayant réalisé seulement 6 long-métrages en 39 ans de carrière, Malick prépare aujourd’hui quatre films qui devraient paraitre dans les deux prochaines années, dont Knight of Cups, qui sort en salles le 25 novembre prochain. On y retrouvera Christian Bale, déjà présent dans Le Nouveau Monde, ainsi que Natalie Portman et Cate Blanchett.

Le cinéma de Malick peut s’interpréter comme une quête d’origines. Il s’interroge sur nos fondements, sur nos relations à la vie, à la mort. Cette recherche est illustrée par le mouvement, élément central de l’œuvre malickienne. N’utilisant que rarement le plan fixe, la caméra de l’américain se faufile, virevolte et nous emmène avec elle découvrir les mystères de l’origine du monde dans The Tree of Life (Palme d’Or cannoise en 2009), de l’amour dans A la merveille ou encore de l’Amérique dans Le Nouveau Monde. Les yeux écarquillés, on suit ces déambulations volatiles et poétiques à la recherche de l’essence de notre humanité. Cette quête, toujours inachevée, de sens permet au réalisateur de faire de chacune de ses œuvres des films-monde.


Les mains dans la terre, la tête dans les étoiles

Sa fascination pour les indigènes (les amérindiens du Nouveau Monde, ainsi que les autochtones des îles Guadalcanal de La Ligne Rouge) souligne son désir d’un retour à la terre. Plus généralement, la nature revêt une place primordiale dans ses œuvres, aussi bien esthétiquement que symboliquement. Une nature souveraine, et qui reprend ses droits face aux activités humaines, sous la forme d’insectes dans Les Moissons du Ciel, ou d’un déchainement météorologique dans Le Nouveau Monde. Amateur de grands espaces, adepte d’une mise en scène simple sans fioritures ainsi que d’une narration décentrée, le chaman Malick parvient à distiller dans son œuvre une sensation d’apesanteur, de flottement. On flotte dans un océan d’émotions pures et de contorsions. Dans ce cinéma de sensations, on ressent physiquement ce que vivent les personnages : un pied nu caressé par l’écume, une main se baladant entre les épis de blé.

L’importance de la bande sonore ainsi que de la musique accompagne cette quête fictionnelle de liberté. Laissant une place de choix aux bruits de la nature, il fait aussi appel à de grands noms pour accompagner ses images, tels que le français Alexandre Desplats pour The Tree of Life, Hans Zimmer pour La Ligne Rouge ou encore James Horner pour Le Nouveau Monde. Cette fois, c’est Hanan Townshend, déjà auteur de la bande originale d’A la Merveille, qui va tâcher d’accompagner musicalement les pérégrinations visuelles orchestrées par Malick. La photographie est aussi le point fort du réalisateur, qui s’est adjoint les services d’Emmanuel Lubezki, directeur de la photographie primé maintes et maintes fois dans les festivals internationaux, pour sa capacité à jouer avec les lumières et à créer des environnements d’une intensité rare.

De par la liberté laissée aux acteurs, la pudeur de son scénario ainsi que par un propos intériorisé, A la Merveille, dernier film de Terrence Malick, semble être la quintessence de l’empreinte Malick. Ce qui en a fait un objet de controverse, entre ceux qui considèrent ce film comme un chef d’œuvre et ceux qui n’y voient qu’une contemplation vide de sens. On espère que Knight of Cups sera, lui aussi, un OVNI cinématographique dont Malick (qui signifie « roi » en arabe) semble détenir la recette.

Maiwenn, un ovni du cinéma français

 

Maiwenn est une jeune réalisatrice au style personnel et original. Personnel à la fois parce qu'elle est la seule à l'exercer, mais aussi parce qu'il met en avant son histoire et son caractère de femme indépendante. Elle ne se cache pas et dévoile son enfance difficile, son rêve de cinéma depuis son plus jeune âge et son attrait pour le spectacle afin de se retrouver au devant de la scène et être reconnue. L'usage du docu-fiction pour parler d'elle, pour découvrir des milieux fermés comme celui des actrices ou encore celui de la brigade des mineurs, permet d'effacer toute frontière entre le faux et le vrai. Ainsi, Maiwenn rend ses films sincères, elle nous touche par ce jeu franc et cette manière de filmer qui donne à voir en brut la réalité sans ornement ni artifice. Ce tournage entre fiction et réel peut être déroutant, et c'est ce qui donne tout son poids à l’œuvre cinématographique. On ne sait jamais si l'histoire de Maiwenn est bien telle qu'elle la présente dans Pardonnez-moi. Il en est de même pour les actrices du Bal des actrice, jouent-elles un personnage ou bien sont-elles simplement elles-mêmes? C'est incontestable, Maiwenn a du talent pour apporter de la finesse à des sujets aussi forts que le mal-être que l'on retrouve dans ses trois longs-métrages. On pourrait critiquer Maiwenn en disant que son style est bobo voire élitiste et pédant. En effet, on l'associe à Libé et aux Inrocks, comme elle le montre elle-même dans Le bal des actrices, avec beaucoup de recul et d'auto dérision. C'est aussi ce qui fait son charme, entre jeunesse, rock et gauchisme, Maiwenn est dans la lignée de nombreux artistes de la classe bobo parisienne, et elle en est sympathique. Le fait qu'elle fasse appel à des acteurs qu'elle affectionne beaucoup et qui pour la plupart semblent être des amis, rend ses films humains et honnêtes. On retrouve une certaine complicité entre tous les acteurs et la réalisatrice, c'est très appréciable et contrairement à ce que l'on pourrait craindre, nous ne sommes pas tenus à l'extérieur, comme s'ils avaient fait un film entre amis. Je pense par exemple aux Petits mouchoirs de Guillaume Cannet, qui est pour moi un film à l'opposé de ce qu'est le cinéma, en étant qu'un simple ramassis de clichés de vacances entre «potes trentenaires, richoux parisiens au Cap Ferret».

 

Dans son premier long-métrage, Maiwenn met en scène sa propre vie. Son film semble constituer le remède contre les démons de son enfance. On comprend alors que ce n'est pas une pure fiction mais bien au contraire la manière dont elle perçoit sa vie. Elle parvient à nous mettre mal à l'aise face à la dureté et à la brutalité des répliques et des images. Il n'y a pas vraiment de recherche esthétique sinon une sincérité à l'état pur, plus par les images que par la narration. Cependant, pour troubler le spectateur, elle n'utilise pas son propre nom et parle de "film" plutôt que de "documentaire". Comme dans Le bal des actrices, le film terminé est alors le résultat de ce qu'elle est en train de créer tout au long, on peut dire qu'il s'agit d'une certaine manière, d'une mise en abyme où le film serait l'histoire de sa réalisation. Malgré un manque de scénario et de fil conducteur bien défini, qui donnerait une fluidité au déroulé du film, Maiwenn s'impose comme une artiste à part entière avec une forme cinématographique inouïe qui mêle fiction et reportage. Elle fait preuve d'audace pour entrer dans le monde du 7ème art français.

On peut apporter un regard sur certaines scènes. Je pense à celle du repas de famille qui est très dérangeante à cause de sa franchise, ce qui aurait pu être positif. Ceci étant dit, la scène est trop criante au sens propre comme au sens figuré, elle manque de nuance et de délicatesse, elle peut paraître quelque peu brouillon. La scène d'ouverture sur le spectacle donné par Maiwenn elle-même m'a beaucoup ému. On y voit les difficultés de l'actrice à trouver une place dans sa vie comme dans le monde artistique. La froideur du père est telle, qu'elle est aussi glaçante pour le spectateur qui y voit une absence totale d'amour et de savoir vivre. Toute la tension est retenue jusqu'à la scène de la poupée dans laquelle l'émotion se déverse. C'est sûrement le passage le plus réussi dans le sens où il canalise toute l'attention et fait prendre pleinement conscience de ce qu'a voulu montrer la réalisatrice, ce qu'elle ressent et ce qu'elle exprime. Le malaise ambiant frappe et ne laisse pas indifférent pour tout le reste du film. L'actrice-réalisatrice entre dans une sorte de folie, une transe par laquelle elle sort d'elle-même et rencontre le spectateur.

 

Dans son deuxième long-métrage, Maiween réinvestit le docu-fiction pour filmer des femmes et en faire des portraits. Des portraits d'actrices françaises que l'on connaît. Ici encore, on ne sait pas ce qui relève de l'imaginaire et ce qui est réel, mais ce qui est intéressant c'est que le vrai a les traits forcés. Les personnages sont certes exagérés et c'est ce qui donne son charme à chaque portrait, et au film dans son intégralité. Je trouve ce qu'a fait Maiwenn par cette réalisation passionnant pour plusieurs raisons. D'abord, le monde du cinéma, et en particulier tout ce qui se passe dans les coulisses, est fascinant. D'autre part, il s'agit d'un film très émouvant sur les femmes, plein de sincérité, sans artifice ni paillette. La musique a une place importante, ce qui le relie aux comédies musicales françaises de type Jacques Demy. On peut y voir alors un hommage au cinéma français, rappelant des films anciens comme des films plus récents, je pense par exemple à De battre mon cœur s'est arrêté auquel Linh Dan Phan fait allusion lorsqu'elle parle de son César remporté. Maiwenn fait preuve d'auto-dérision lorsqu'elle décrit son image et il en est de même pour toutes les actrices qui acceptent d'accentuer les traits de leur personnage. C'est cette auto-dérision qui rend le spectateur complice de ces actrices et de la réalisatrice, et qui donne au film à la fois de la légèreté, parce que l'on sourit et de l'émotion, beaucoup plus directe lorsqu'on se sent concerné par les personnages.

Chacune des scènes alimente un portrait de femme, un portrait d'actrice. Je retiens en particulier le passage où Karin Viard est au bord des nerfs, la chanson et le caractère exagéré de son jeu rend la situation humoristique alors que la base est plutôt pesante. On y voit une femme dans la peau d'un personnage dont elle n'arrive pas à se débarrasser. Elle perd les pédales, et le fait qu'elle n'ait jamais les pieds sur terre la rend d'abord insupportable car imbue d'elle-même, puis on comprend qu'elle n'a qu'un masque, que c'est une femme sensible qui se protège, tout simplement. Marina Fois soulève le problème existentiel des catégories au cinéma, celles qui jouent dans des films drôles ne sauraient pas jouer autre chose et inversement. On se confronte alors à la fermeture d'esprit qui existe dans ce milieu et qui peut faire souffrir beaucoup d'actrices ou d'acteurs, comme s'ils n'en étaient pas de vrais, qui sont rabaissés à un seul domaine. La franchise de cette actrice et le manque de confiance aussi sont très bien retranscrits, notamment par la question du physique et de la chirurgie. Jeanne Balibar a sûrement la scène la plus difficile dans le sens où elle frôle la folie nerveuse. On y voit l'usage à outrance de médicaments pour tenir le coup, c'est le portrait d'une femme à cran et à bout de nerfs qui nous est présenté. Quant à Muriel Robin elle nous montre ce que ressent une actrice en manque de reconnaissance, qui souffre aussi des catégories. Toujours le rire qui semble incompatible avec d'autres jeux, ici le théâtre classique. Elle est très touchante et tellement juste que l'on ne sait pas si on assiste à une vraie dispute avec Jacques Weber ou bien à une mise en scène. La scène de Maiwenn avec le producteur est intéressante car elle est pleine d'auto-dérision de la part de la réalisatrice qui se présente comme une Bobo branchée à l'image de Libé ou des Inrocks, ce que certes elle est, mais qu'ici elle semble entrain de ridiculiser et de ramener à un simple étiquetage. On pourrait parler de nombreuses autres scènes toutes aussi vraies et touchantes, je pense surtout au personnage de Karole Rocher ou de Romane Bohringer. Toutes ces actrices sont en construction ou en déconstruction, et comme on le voit à la fin, tous les schémas peuvent s'inverser et alors la construction entraîne dans un second temps la déconstruction, ou parfois l'inverse.

 

Avec Polisse, Maiwenn réalise un film plus conforme au cinéma dont on a l'habitude. On pourrait dire qu'il s'agit du "plus film" de ses films. Elle s'attaque à un sujet très délicat; et parvient avec justesse à s’immiscer dans le milieu fermé de la brigade des mineurs. L'atmosphère malsaine est très bien recréée, Maiwenn va loin sans tomber dans le pathos ou l'horreur absolue et l'impossible à regarder. L'obscénité et l'ignominie sont suffisamment présentes dans les mots et les silences que la réalisatrice fait le choix de ne pas y coller des images, qui seraient bien trop insupportables et ne feraient qu'alourdir le film sans rien lui apporter de plus. Le scénario est sûrement mieux construit que les deux précédents films, mais cela dit il est aussi moins original. Pour moi, Maiwenn perd de son charme dans sa manière de filmer et de réaliser avec ce long-métrage. Celà dit, elle garde toujours la fibre émotive de ses anciens films avec une histoire poignante et des personnages principaux très humains aux traits caractères bien dessinés. On remarque que Maiwenn s'efface de plus en plus dans ses films. Si on commence avec Pardonnez-moi pour arriver à celui-là, on remarque qu'elle quitte son style autobiographique et raconte d'autres histoires plutôt que la sienne, ou celle d'autres femmes proches d'elle comme dans Le bal des actrices. Ici, on a affaire à un sujet qui lui est extérieur. Cependant, grâce à ce sujet très réaliste, elle reste dans la lignée de ce dont elle a démarré : le docu-fiction.

Les scènes sont pour la plupart très dures, je pense notamment à celle avec Sandrine Kiberlain dans le rôle d'une mère dont le mari abuse de leurs enfants. D'une part, un sujet de cette ampleur qui touche les enfants est révoltant mais ce n'est pas seulement ce qui percute le spectateur. En effet, l'histoire personnelle de ceux qui travaillent à la Brigade a aussi une grande place dans le film et un caractère difficile pour beaucoup. C'est en particulier le cas de Marina Fois dont le jeu est sérieux, franc et très sensible. La scène finale prend aux tripes et ne laisse pas indifférent, elle marque les esprits pour un moment. La musique rythme le film et permet de ne pas trop alourdir les scènes. Le personnage de Joey Starr a aussi une manière de jouer qui apporte de l'espoir, de la vie comme dans la scène de la danse qui redonne un peu d'humanité.

 

Je terminerai cet article en disant que Maiwenn est une artiste, une réalisatrice et une actrice d'un nouveau genre. Son style est original, sa personnalité est forte, elle a une sensibilité particulière qui accroche et nous invite à entrer dans ses films. Aujourd'hui, avec son dernier long Mon roi, présenté à Cannes. Maiwenn nous propose une nouvelle histoire et surtout de nouveaux personnages. Aussi, voit-on qu'elle s'est encore effacée un peu plus, jusqu'à disparaître dans ce dernier long-métrage.

                 

Manon Lhoumeau-Aizpuru

// VIERGE SOUS SERMENT //

Une fois encore, la rentrée cinéma nous réserve de belles surprises. Et cette année c’est le premier film de Laura Bispuri « Vierge sous serment » qui nous accroche, émeut et réveille. Par le récit de cette femme Hana, qui décide de garder sa virginité pour trouver sa place dans un monde rural machiste en Albanie, la réalisatrice interroge des thèmes contemporains. C’est tout d’abord un violent questionnement de la place de la femme dans une société qui impose des mœurs archaïques. Dès le départ  le sujet d’une grande originalité – la description du droit coutumier qu’est le Kanun qui institue les « vierges sous serments » - jouit d’un traitement audacieux. Mais finalement, c’est surtout la question du genre et du travestissement qui est finement observée, notamment dans l’adaptation du personnage principal. Hana devient Mark. Mais quand elle/il s’affranchit des codes de la montagne albanaise pour s’intégrer dans la société italienne moderne, comment redevenir Hana ? Alba Rohrwacher est incroyable de justesse et l’ambivalence propre au personnage du livre d’Elvira Dones qui a inspiré le film trouve dans le corps de cette actrice un écrin parfait pour s’épanouir. Par ailleurs la construction de tous les autres personnages est à souligner. Le casting particulièrement bien réussi offre une véracité aux liens familiaux à l’écran et donne à ce premier film une émotion rare. Grâce à une structure non linéaire qui porte habilement la narration, Laura Bispuri est à la fois conteuse et portraitiste. D’une grande finesse.

Victor Courgeon

// THE ROSE //

J'ai eu la chance de pouvoir aller voir la reprise de The rose ( sorti le 29 juillet 2015) un film réalisé en 1980 par Mark Rydell, dans lequel celui-ci révéla le talent monstre de Bette Midler. " drogue sex et rock" pourrait être un court condensé de cette réalisation grisante. Dès les premières secondes nous sommes emportés par la voix rauque et éraflée de Janis Joplin autrement appelée "the Pearl" ou encore "the Rose". Cette voix qui envoûtait les stades américains pendant les années 80 et réunissait hippies et rockeurs à la fois, cette voix qui valut à la chanteuse le titre de "first lady of rock", elle s'impose à nous durant plus de deux heures. Ce sont des plans vintages et une ambiance fiévreuse qui nous enveloppe et fait revivre ces années de l'excès et de l'euphorie, oū les amphétamines et la tequila servent d'apéritif, ou les strass et les santiags sont à la carte du bon goût. Si ce n'est pas le souvenir de la chanteuse qui vous fera opter pour ce film, ce sera à coup sûr le génie de Bette Midler qui transcende l'écran et nous fait rire,pleurer et espérer à la fois. On ne peut qu'apprécier ce kitsch tendre qui imprègne le film, cette énergie électrique qui déborde et fait chavirer les protagonistes. Ce film permet à deux monuments historiques de se rencontrer : une chanteuse et une actrice. Il rend hommage à un mythe mais révèle aussi les erreurs et les troubles qui envahissaient Janis jusqu'à la faire basculer dans l'abysse de la drogue, un chemin sans retour. Après le documentaire sur Amy Winehouse, c'est ce deuxième que je vous recommande chaudement.

 

Hortense Lugand

// VALLEY OF LOVE //

Un acteur, une actrice, deux personnalités fortes en totale harmonie. Un cadre angoissant, qui relève presque de l'irréel, de l'imaginaire, aussi intrigant qu'attirant. Une histoire hors-norme, à laquelle on ne penserait pas croire et qui pourtant va nous porter pendant 1h30. C'est un film tout en finesse, qui ne tombe jamais dans le pathos grâce à la justesse du jeu d'Isabelle Huppert et de Gérard Depardieu. De plus, tout n'est que signifié, rien n'est désigné, ce qui permet à chacun d'interpréter à sa manière ce que le réalisateur sous-entend. Le fait qu'il y est un parallèle très explicite avec la réalité, donne au film une dimension encore plus forte et poignante. On ne peut que difficilement sortir de la salle indifférent. En effet, les deux acteurs ont gardé leur nom, leur profession et puis nous connaissons l'histoire familiale de Gérard Depardieu qui a perdu son fils d'un suicide, comme dans le présent film. Nous sommes dans la fiction mais pas une fiction pure. Non, ce long-métrage pose de nombreuses questions sur les rapports familiaux, les relations humaines, l'amour et la mort, qui sont au centre de nos préoccupations à tous. Les revenants, on n'y croit pas mais la force des sentiments, du remord, de la peine, oui, on y croit. Cette force semble l'être assez pour accepter que les corps en soient marqués et que nous voyons ce que l' on veut voir, ce que l'on doit voir, comme le précise ce Mickaël, décédé, dans les lettres adressés à ses parents. On voit que dans la « tentative » de reconstruction de Isabelle et Gérard, l'un sans l'autre, une destruction s'est produite, celle de leur fils. Ils en sont d'une certaine manière les responsables involontaires, et c'est ce qui leur fait mal, ce qu’ils ne veulent pas voir en face. L’abandon tisse une toile de fond. L'impression de huis-clos et la chaleur souvent évoquées, rendant l'atmosphère assez oppressante, on peut croire à une folie qui submerge les deux personnages et qui nous transporterait aussi. Mais tout cela n'est qu’interprétation de signes. Ce n'est certes pas un film à voir pour se détendre, mais il nous interroge et nous fait réfléchir, sans prétention ni philosophique ni psychologique puisqu'il n'y a ni leçon ni réponse à toutes les questions posées.

 

Manon Lhoumeau-Aizpuru 

// BLIND //

Ingrid (Ellen Dorrit Petersen), trentenaire norvégienne, a perdu progressivement la vue. Refusant d’affronter le monde extérieur, de promener sa canne blanche entre les pavés des avenues, elle reste cloîtrée dans son appartement aux airs de tour d’ivoire. Dans le noir, son imagination remplace petit à petit ses souvenirs. Les couleurs perdent leurs saveurs, les formes leur sens et les visages leur familiarité. Ingrid passe ses journées à attendre Morten (Henrik Rafaelsen), un mari architecte dont elle n’arrive plus à deviner les émotions. Complexée par son handicap, elle peine à maintenir la confiance qu’elle avait en lui et leur couple semble s’étioler progressivement. Pour évacuer sa frustration, Ingrid vit par procuration, en imaginant les aventures d’Einar, ancien camarade de fac, et d’Elin, jeune mère célibataire. Progressivement, Ingrid se retrouve prise au piège entre la réalité et les inventions de son esprit.


Clairvoyant, même si parfois provoquant, Blind fait preuve d’une intelligence narrative, aidée par une mise en scène épurée. Une lumière très travaillée et éblouissante permet au personnage d’Ingrid de ne pas plonger dans l’obscurité. Sa voix-off qui nous accompagne tout au long du film nous permet d’entrer dans son esprit et de voir ce qu’elle imagine. Cette immersion permet à Eskil Vogt d’exploiter de multiples possibilités visuelles et scénaristiques originales, qui donnent une touche expérimentale à Blind tout en nous rappelant la Science des Rêves de Michel Gondry.


Comme Saint-Thomas, Ingrid ne croit que ce qu’elle voit. Comment alors avoir confiance en l’autre lorsqu’on ne peut pas l’observer ? Avec une lucidité toute particulière, Blind interroge notre nécessité du regard, notre perception du matériel dans un monde de plus en plus immatériel. Comme de nombreuses oeuvres scandinaves, Blind parvient subtilement à aborder des problématiques modernes, notamment notre rapport au corps et aux nouveaux médias. Ici, cette réflexion aborde surtout la solitude. Être seule dans sa cécité comme Ingrid, seul avec ses mouchoirs et son porno comme Einar, mère solitaire comme Elin, ou même seul “bien-voyant” comme Morten. Blind se caractérise par une approche particulièrement crue qui peut nous rappeler “Happy Sweden” de Ruben Östlund, où l’on retrouve déja Vera Vitali (Elin). On retrouve aussi dans Blind un caractère mélancolique et une approche de l’espace épurée, qui nous rappellent d’autres films norvégiens, notamment Oslo, 31 août, dont Eskil Vogt n’était autre que le co-scénariste.


Entre rêve et réalités, Blind nous touche par son traitement lucide de l’handicap et par sa lecture intelligente de notre morose société individualiste.


Valentin Carré

Comme un avion // Spy

Les nominations aux Césars sont tombées !

 

     C’est fait ! Les nominations des César, dont la cérémonie se tiendra au théâtre du Châtelet le 20 février prochain, sont enfin connues. L’année dernière, c’est Guillaume Galienne qui avait triomphé, raflant pour sa première expérience de réalisateur/acteur/actrice pas moins de 5 César dont celui de Meilleur Film. Qui sera plébiscité cette année dans une compétition éclectique ? En effet, pour son 40ème anniversaire, la cérémonie des César se permet le grand écart : d’un Dany Boon président de la cérémonie à Abderhamanne Sissako, réalisateur de Timbuktu, en passant par Sean Penn, qui succède à Kevin Costner en tant qu’invité d’honneur. On dénote sans surprise l’absence des plus gros succès du cinéma hexagonal cette année que sont Qu’est ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, Supercondriaque et Lucy. Luc Besson pourra se consoler avec sa médaille des César qu’il recevra au cours de la soirée. Le tout sera animé par un fringuant Edouard Baer, qu’on espère au sommet de sa forme.

 

    Passons à la compétition. Duel fratricide entre les deux biopics sur Yves Saint Laurent qui totalisent à eux deux pas moins de 17 nominations. La qualité cinématographique de ces deux opus se traduit par la différence de nominations entre Bonello (10 nominations) et Jalil Lespert (7 nominations, ni meilleur film, ni meilleur réalisateur).

Deuxième film le plus nominé de la sélection, notre chouchou : Les Combattants. Le réalisateur Thomas Cailley n’est autre que l’un d’entre nous, passé par Sciences Po Bordeaux, et a avec ses 9 nominations le profil d’un outsider crédible. Restons dans la qualité avec Timbuktu, 8 nominations, qui pour un film d’auteur réalise une très belle performance en salles. Resté bredouille lors de la compétition cannoise, le film qui fut pour nous une des révélations de l’année a des chances de repartir avec quelques prix.

 

     Du côté de nos déceptions, on note l’absence du 3e long-métrage de Céline Sciamma, Bande de Filles, qui aurait mérité sa nomination dans la catégorie Meilleur Film, sachant que La Famille Bélier y a, elle, trouvé sa place. Avec ses 5 millions d’entrées, ce film réconcilie tout de même le cinéma populaire et l’Académie des César avec 6 nominations, dont Meilleur Film donc, mais aussi Meilleur Acteur et Meilleur Actrice.

 

     Ces deux catégories nous offrent des duels alléchants : chez les hommes, un affrontement direct entre les deux Saint-Laurent, Gaspard Ulliel et Pierre Niney, qui pourront cependant être coiffés au poteau par la performance de Romain Duris, en homme qui devient femme dans Une Nouvelle Amie. Côté femmes, quelques habituées des César (Deneuve, Binoche, Cotillard) seront aux prises avec une nouvelle génération incarnée par Adèle Haenel et Emilie Dequenne.

 

     Enfin, la catégorie du Meilleur Film Etranger rassemble une sélection de grands noms du cinéma aux styles diamétralement opposés : du noir et blanc d’Ida à l’hyper-stylisation de Wes Anderson, des 3h15 de la Palme d’Or cannoise Winter Sleep au format 1:1 du Mommy de Xavier Dolan.

 

 

Rendez-vous le 20 février, cinébisous !

 

 

La Carre et la Courge 

 

Gone Girl Vs. Mommy

Les deux grands films d'octobre

Quand le trop devient nécessaire

 

Diane, une veuve mono-parentale (Anne Dorval) se voit confier la garde de son fils Steve (Antoine Olivier Pilon), atteint de graves troubles comportementaux, après son expulsion d’un centre spécialisé ; Kyla (Suzanne Clément), une voisine bègue vient tempérer la relation explosive de deux protagonistes ; une course folle mène le trio à sa perte malgré un amour sincère et incompressible. Mommy, c’est le film évènement de la rentrée cinématographique. Auréolé de son succès à Cannes (Prix du Jury ex-aequo avec l’Adieu au Langage de Godard,  coup de cœur d’une bonne partie de la critique), le nouveau film de Xavier Dolan est arrivé tel un raz-de-marée de larmes et d’émotions dans les salles obscures. Le jeune réalisateur québécois, aussi agaçant que brillant, signe le cinquième acte d’une filmographie traversée une constante : le trop.

 

Dolan l’avoue, il a la prétention de vouloir faire bouger les lignes du cinéma québécois. Qu’on le trouve impertinent, arrogant, ou audacieux, rien ne l’arrête. Dans le cinéma de Dolan, on cadre très à gauche, très à droite ou très centré. On accumule les plans bleus, verts, rouges ou jaunes. On assiste à des pluies de vêtements ou de marshmallows. On ne recule devant aucun choix musical. Bref, on additionne les idées très visuelles et très formelles, jusqu’à l’écœurement et parfois aux dépens du récit et de l’émotion. 

 

Là où Xavier Dolan se démarque avec Mommy, c’est qu’il réalise une synthèse de tous ses films précédents tout en allant à l’essentiel, faisant de l’excès un élément indispensable, au service de son récit. Tout le film parvient à réunir le trop et le nécessaire en un couple inséparable. En effet, Dolan signe ici son film le plus simple, le plus direct. Le récit est ultra-linéaire, les séquences s’enchainant chronologiquement avec une fluidité impressionnante, faisant complètement oublier la longueur conséquente du film (2h18). Le réalisateur ne s’encombre pas de personnages secondaires et se concentre sur les trois principaux – avec trois acteurs au sommet – sans donner la primauté à l’un d’entre eux. Face à cela, l’excessive formalité de Dolan se fonde totalement dans le propos. Comme on l’a lu partout, il s’autorise un cadre carré pour rester au plus près de ses personnages et éviter toute distraction. On peut trouver cela peu subtil et très lisible, toujours est-il que Dolan ose le faire. Les choix musicaux ont tout autant été commentés (au programme : Céline Dion, Oasis et Andrea Bocelli). On le comprend, Dolan n’a pas peur du kitsch, mais surtout il parvient à retourner à l’essentiel de ces tubes tant entendus et tant moqués : l’émotion.

 

Car, au-delà des prouesses formelles, Mommy est avant tout un film empli d’émotions. C’est ici que Dolan montre à quel point il a mûri à travers ses cinq longs métrages. Sa courte carrière ne semble avoir été qu’un chemin d’apprentissage vers une simple conclusion : la première qualité d’un film est qu’il ne laisse pas le spectateur indifférent. Et Dolan est d’autant plus intelligent qu’il parvient à susciter l’émotion chez son audience avec de simples jeux formels : en témoigne cette parenthèse enchantée où Steve se défait de ses carcans et écarte littéralement le cadre étouffant. Finalement, chaque séquence devient un film en soi, où les passions des personnages explosent, avec humour, violence ou drame, toujours avec des larmes. Dolan se sert de ses pulsions de « trop » pour n’en faire que de l’émotion. Chaque mot prononcé, chaque geste fait par les personnages n’est alors que bouleversement pour le spectateur qui, pris de sanglots au milieu d’un fou rire,  se met à espérer de concert avec Steve, Diane et Kyla alors même qu’il ne peut ignorer la fin tragique annoncée par les cartons introductifs. 

 

Mommy est donc sans hésiter le meilleur film de Dolan, en ce qu’il parvient à marquer le spectateur par la passion qu’il concentre plus que par l’identité visuelle, pourtant outrancière, qu’il consacre. Au trop formel répond le trop émotionnel, faisant de ce double trop un tout nécessaire.

 

Jean-Baptise Savary




Après des détours réussis par le mélodrame (L’étrange histoire de Benjamin Button), le biopic (The Social Network) et la politique (House of Cards), David Fincher revient ce mois-ci à ses premiers amours avec Gone Girl. Et on ne peut que constater que Fincher reste le maître incontesté du Thriller (Seven, The Game, Zodiac, Millenium)… 


Comment écrire une critique sur un tel film sans dévoiler d’éléments clés de l’intrigue ? Je vais faire ce que je peux, mais si vous voulez vraiment profiter de toutes les surprises dont regorge le film, je vous conseille quand même de vous arrêter ici. Le pitch du film est assez simple : le jour de leur 5ème anniversaire de mariage, la femme de Nick Dunne, Amy, disparaît mystérieusement. Au fur et à mesure que l’enquête progresse et que les médias s’y intéressent, Nick devient rapidement l’homme à abattre.

 

Fincher met alors en place une double, voire triple chasse aux trésors. La première est  menée par la police à la recherche de preuves lui permettant de retrouver Amy. Nick, de son côté, effectue sa propre enquête à partir des éléments qui viennent à sa connaissance. Cette quête passe par la résolution de la troisième chasse au trésor laissée par Amy, comme chaque année, afin de découvrir le cadeau d’anniversaire de mariage que sa femme lui a laissé avant de disparaître. Il espère pouvoir y trouver quelques indices sur la disparition de sa femme.

 

C’est donc autour de ce scénario que tourne la première heure du film. Et c’est après cette heure que s’exprime enfin l’incroyable complexité du scénario, une fois que l’enquête est résolue, au moins du point de vue du spectateur. Fincher réalise ici sous coup de génie en changeant totalement la donne et en faisant de Gone Girl un film sur le mariage et la folie médiatique bien plus qu’un film policier. Dans l’heure et demi suivante, le film se met en effet à tourner autour de deux enjeux, bien loin des enjeux de l’enquête policière. Le premier est d’arriver à saisir la relation incroyablement complexe qu’entretient Nick avec sa femme pour arriver à saisir les motivations de ces deux personnages. Le second est de s’interroger sur le rôle des médias dans une affaire judiciaire comme celle que présente le scénario.

 

En jouant avec les points de vue, Fincher construit deux personnages à la personnalité incroyablement riche, pour lesquels on passe de l’empathie à l’antipathie et vice-versa au fur et à mesure que l’intrigue se développe. On retrouve là une constante du cinéma de Fincher, depuis le détective Mills de Se7en, un peu trop sûr de lui, jusqu’à l’insupportable surdoué qu’à Mark Zuckerberg dans The Social Network. En maltraitant ses personnages, Fincher amène le spectateur à s’interroger sur les notions (beaucoup trop) simplistes de coupable et de victime. On notera tout de même qu’il est brillamment aidé par ses deux acteurs, Ben Affleck et Rosamund Pike, avec une mention spéciale à cette dernière. On notera aussi la très bonne performance de Neil Patrick Harris, très, très loin de son rôle de Barney Stinson qui l’a fait connaître. 

 

Avec Gone Girl, David Fincher s’impose donc un peu plus comme le maître du thriller en arrivant encore une fois à mettre les critiques et le public d’accord. Il signe ici un de ses meilleurs films. Et pourtant la barre était haute. Reste à savoir si Gone Girl s’imposera comme la nouvelle référence en la matière, près de vingt ans après Se7en.

 

Damien Cabut


RETOUR AUX ORIGINES DU 7EME ART Le voyage dans la lune, George Méliès


Classé depuis 2002 par l’UNESCO au patrimoine cinématographique mondial, Le Voyage dans la Lune de George Méliès demeure indéniablement une œuvre majeure de l’histoire du cinéma

 

Au visionnage du film, le balbutiement de l’œuvre cinématographique de l’époque est encore palpable. Les plans fixes se succèdent, le cadre reste le même, les décors de carton-pâte participent d’une perspective particulière : L’analogie avec le théâtre est évidente. Ceci n’est pas surprenant. En effet, avant d’être un cinéaste, George Méliès est avant tout un homme de spectacle, et plus précisément de magie et d’illusion. Mais lorsque les Frères Lumières inaugurent leur cinématographe en 1895, conscient des perspectives de cette invention, il s’empresse de proposer le rachat du brevet de la machine, offre que les cinéastes refusent. Méliès ne renonce pas et fonde dès 1896 les premiers studios de cinéma en France : La Star Film. 

Dès sa sortie en 1902, Le Voyage dans la Lune fait mouche. Il est perçu par beaucoup comme le premier film de fiction, ou du moins le premier de cette envergure, d’une durée de 14 minutes, détail particulièrement innovant pour l’époque. 

Le film, que l’on qualifierait aujourd’hui de court-métrage, s’ouvre sur la présentation par le professeur Barbenfouillis, lors d’un colloque scientifique, d’un projet particulièrement ambitieux : un voyage dans la lune. A bord d’un obus, projeté à l’aide d’un canon, voici l’équipe scientifique projetée vers le satellite. La découverte de l’environnement lunaire s’accompagne de la rencontre avec d’étranges autochtones, particulièrement hostiles. Parvenant finalement à s’échapper, nos héros emportent malgré eux dans leur fuite l’un de leurs poursuivants, qu’ils exposeront à leur arrivée comme preuve du succès de leur expédition (analogie colonialiste mise à part). 


L’influence des romans de Jules Vernes est évidente. Il serait même possible d’y voir une adaptation de De la Terre à la Lune (1865) ou encore des Premiers Hommes dans la Lune de H.G. Welles publié une année plus tôt. Plutôt que de la science-fiction, Méliès crée ici un nouveau genre, le féérique, précurseur du genre fantastique ou science-fictionnel. Bien que très loin des standards actuels, les effets spéciaux, tout droit issus de la carrière de magicien de Méliès sont époustouflants, à l’image des sélénites s’évanouissant dans un nuage de fumée sous les coups de parapluie des scientifiques. Les expérimentations audacieuses du cinéaste prennent le dessus sur d’éventuelles cautions scientifiques, opposant l’œuvre aux films d’influence naturalistes qui représentaient une part importante de la création cinématographique de l’époque. 

Dans ce tableau burlesque et baroque s’inscrivant dans un registre clairement comique, l’exagération des traits et des mouvements est de vigueur. Méliès y dresse une satire des hommes de Science, affublés de chapeaux pointus et de robes étoilées qui ne sont pas sans rappeler les figures légendaires de Nostradamus ou Merlin l’enchanteur. 


Mais, au-delà de l’humour et de la légèreté de la narration, Le voyage dans la lune demeure une œuvre majeure. Derrière la désuétude perceptible par le spectateur du XXIe siècle, la magie et le rêve sont encore omniprésents. Véritable transposition du rêve à l’écran, onirisme pur, cette œuvre n’a rien perdu de sa superbe. Un chef-d’œuvre du cinéma muet à visionner encore et encore. 


Sarah Hillaireau

GERONIMO, et retour sur la filmographie de Tony Gatlif


Avec son dernier film, Gatlif nous transporte encore une fois au cœur d'une culture ou plutôt de deux cultures qui sont amenées à se confronter. Nil, d'origine turque, est victime d'un mariage arrangé mais pour y échapper, elle s'enfuit lors de la cérémonie et rejoint son amoureux, l'andalou Lucky. Ce scénario nous est pas étranger et nous rappelle la trame de Roméo et Juliette. Deux familles vont alors s'affronter « artistiquement » si l'on peut dire car ce sont les danses et la musique qui rythment leurs combats, on y voit l'influence de West Side Story. Contrairement aux précédents long-métrages de Gatlif qui nous faisaient voyager dans des pays étrangers, tel que l'Algérie dans Exils, en Roumanie dans Gadjo Dilo et Transylvania, celui-ci nous amène à découvrir, dans notre propre pays, le mélange des cultures auquel nous, spectateurs dans notre fauteuil de cinéma, ne sommes ni confrontés ni amenés à rencontrer dans notre vie de tous les jours. Ce film nous ouvre les yeux et les oreilles, on se sent à la fois étranger et concerné par ce qui se passe dans ces scènes. Alors que les mariages arrangés, l'honneur de la famille et la vie en communauté nous semblent très loin de nous, la manière de filmer, cet attachement aux personnages et cette tension permanente, fait que l'on ne reste pas extérieur à ces lieux, ces vies et ces histoires, très longtemps, on est immédiatement happés par les images. Geronimo nous offre aussi le portrait d’une femme interprétée par Céline Sallette, seule, perdue mais qui trouve un sens à sa vie en aidant les autres, les jeunes qui sont tout aussi perdus qu’elle. On s’y attache, on regarde le film à travers ses yeux à elle, ce qu’elle ressent, son quotidien qu’elle semble à la fois détester pour sa médiocrité, le peu de reconnaissance qu’elle en tire et pour cette impression d’étouffer là où elle ne trouve aucune issue, mais à la fois elle y est intimement liée sans pouvoir s’y détacher. 

 

Si l’on revient sur le parcours de Gatlif, il sort Gadjo Dilo en 1997, dans lequel la musique a déjà une place centrale puisque c’est autour et à partir d’elle que se déroule le film. Stéphane, joué par Romain Duris, part à la recherche d’une jeune chanteuse, s’en suit alors de multiples rencontres musicales, amicales et amoureuses. C’est un film riche en émotions qui nous fait voyager à travers toute la Roumanie. 

Plus tard en 2005, il sort Exils, son chef d’œuvre, à mon goût. Il est parfaitement ficelé, on suit un couple atypique dans leur voyage, qui répond à un retour aux sources, à un besoin de retrouver ses origines que ce soit pour l’un comme pour l’autre. La musique est magnifique, les plans sont sublimes et les acteurs absolument fabuleux. L’homme est encore une fois interprété par Romain Duris, et pour l’actrice il s’agit de Lubna Azabal, cette dernière a le goût de la vie, des découvertes, parfois dans l’euphorie la plus totale, elle intrigue et touche par sa sincérité. 

Un an plus tard paraît Transylvania, surement le film le plus sentimental et mélancolique. On y voit une jeune femme, Zingarina, jouée par Asia Argento, éperdument amoureuse d’un musicien tsigane, elle s’en va retrouver cet amour avec son amie interprétée par Amira Casar. Mais cet amour n’est pas partagé, Zingarina en est détruite, erre dans les paysages de Transylvanie, au nord de la Roumanie et fait la rencontre d’un homme libre, tout aussi seul qu’elle et qui lui donnera espoir.

ans chacun de ces films, un certain malaise est créé à un moment donné, toute l’attention du spectateur est requise, on plonge au cœur de la musique et de la danse de manière incontrôlée. C’est le cas à la fin d’Exils où 10 minutes du film sont consacrées à la scène de transe, dans Transylvania lorsque Zingarina danse pendant de longues minutes après avoir trop bu pour oublier son chagrin, dans Geronimo lorsque les deux familles s’affrontent par des danses de combats qui s’éternisent dans une tension maintenue… Toutes ces scènes donnent au cinéma de Gatlif une dimension artistique exceptionnelle, qui provoque en nous des émotions profondes, il nous fait faire des voyages enrichissants à la rencontre d’autres cultures et fait raisonner en nous des musiques qui ne laissent pas indifférent. 

 

Pour en revenir à Geronimo, sorti au mois d’octobre, ce n’est certes pas le meilleur de ses films. Il traine un peu en longueur, les scènes s’enchaînent sans vraiment avancer dans l’intrigue : la rencontre des deux familles et la recherche du couple en fuite. Peut-être n’est-il pas aussi poignant que Gadjo Dilo ou Exils, du fait qu’il y ait beaucoup de personnages et qu’il soit plus difficile de s’attacher à chacun d’eux, de les connaître vraiment, leur psychologie et leur personnalité. Mais il reste un grand film, un film humain, différent de tout ce que l’on peut voir : juste et beau. Avec son rythme soutenu, c’est un film qui se vit pleinement, on en ressort essoufflé. 

 

Manon Lhoumeau-Aizpuru

ED WOOD : Le cinéma miroir du cinéma


    Sleepy Hollow, Les noces funèbres, ou encore Charlie et la Chocolaterie sont autant de nom qui viennent à l’esprit concernant l’œuvre de Tim Burton. Pourtant, un petit bijou, moins connu du grand public, se cache dans la filmographie du réalisateur. Ed Wood, film sorti aux Etats-Unis en 1995, se situe à mi-chemin entre le biopic  et la fiction. Il rend hommage à Ed Wood, réalisateur américain né en 1924, connu notamment pour la réalisation de films à petit budget dans les années 1950. Malheureusement, il doit aujourd’hui sa postérité aux critiques Michael et Harry Medved, qui, dans leur livre The Golden Turkey Awards (publié en 1980, soit deux ans après sa mort), lui ont décerné la palme du « plus mauvais réalisateur de l’histoire du cinéma ». Tim Burton n’est pas le premier à s’être intéressé à ce personnage hors du commun, puisqu’un livre avait déjà été publié en 1992 par Rudolf Grey, intitulé The nightmare of Ecstasy : The life and Art of Edward D. Wood Jr. Passionné d’épouvante et très fortement influencé par le cinéma expressionniste, Ed Wood a de nombreux points communs avec Tim Burton. Ces derniers partagent le même amour pour le septième art et se revendiquent des mêmes aspirations le concernant. 


    Pour Tim Burton, Ed Wood représente ce que le monde du cinéma a de plus beau. Certes ses films sont objectivement mauvais, tant d’un point de vue technique (effets spéciaux, jeu des acteurs) mais ils dégagent quelque chose de spécial, une sorte de poésie involontaire de la part du cinéaste, qui rend sa filmographie comparable à nulle autre. Elle se compose de films tels que Glen or Glenda (1953) qui aborde le sujet de la transsexualité – Ed Wood aimait lui-même à s’habiller en femme -, The Bride of the Monster (1955), ou encore Plan 9 from outer Space (1959). Il ressort de ce personnage passionné un optimisme sans borne particulièrement symathique qui l’amène à se moquer des railleries et des mauvaises critiques qui accompagnaient de façon quasi-systématique la sortie de chacun de ses films. Et c’est certainement ce qui fascine Burton, ce pied de nez fait à l’industrie hollywoodienne, ambassadrice par excellence du rêve américain. 

Tim Burton à propos d’Ed Wood : « Ce qui est important c’est le processus créatif et le plaisir qu’on y prend. Il faut accorder ça à Ed Wood (…). Il est rare de rencontrer à Hollywood des gens qui sont simplement heureux de ce qu’ils font sans se soucier des ramifications ou des conséquences, de ce que le studio va penser ou de ce que sera le box office ». 


    Ed Wood ne se veut donc pas une biographie fidèle du cinéaste mais plutôt un hommage au cinéma, une lecture de sa vie à travers les yeux du personnage, yeux écarquillés d’émerveillement en permanence. Plusieurs scènes du film relèvent d’ailleurs de la pure fiction, scènes de vie certainement rêvées par le réalisateur de son vivant. Tim Burton met par exemple en scène une rencontre entre Ed Wood (brillamment interprété par Johny Depp) et Orson Wells, un de ses contemporains, rencontre au cours de laquelle s’engage une conversation presque philosophique sur la nature du cinéma. Ce dernier encourage Ed Wood dans la poursuite de son but, par cette phrase restée célèbre : « Ed, visions are worth fighting for » (« Ed, Les visions méritent que l’on se batte pour elles »). Burton ajoute alors comme point final à ce film un happy end, comme pour féliciter Ed Wood de ce combat de tous les instants contre la machine hollywoodienne : une première triomphale à la sortie de son film Plan 9 from outer Space, succès qui ne restera malheureusement que pure fiction. 


    Un autre aspect de l’histoire personnelle d’Ed Wood rapproche les deux réalisateurs. C’est le lien qu’ils ont tout deux avec une personnalité plus âgée, des acteurs de films d’épouvante qui ont marqué leurs enfances respectives : Vincent Price (mentor de Tim Burton) et Bela Lugosi (idole d’Ed Wood). Bela Lugosi est un acteur connu notamment pour avoir interprété le comte Dracula en 1931. Mais il refuse le rôle de Frankenstein (il nourrit d’ailleurs dans le film une rancœur sans borne à ce sujet), ce qui marque un tournant négatif dans sa carrière. Complètement désavoué par le système hollywoodien qui avait pourtant fait sa gloire, il sombre petit à petit dans la misère et devient dépendant à la morphine. C’est dans ces conditions qu’il rencontre Ed Wood (amitié et collaboration qui ne sont pas cette fois inventées par Burton mais bien réelles) et participe à quelques tournages, dans une ultime illusion de pouvoir renouer avec sa grandeur d’antan. Il meurt finalement dans la misère (après un séjour en cure de désintoxication) quelques semaines avant le tournage de Plan 9 from outer Space. 

 

 

 

Par cet hommage qu’il rend à Ed Wood mais aussi par ricochets à Bela Lugosi, Tim Burton réaffirme son amour du cinéma en tant qu’art et dénonce la machine hollywoodienne, sorte d’usine à rêve, et carcan au dessus de la créativité. 

 

 

 

                                                                                 Sarah Hillaireau